Dans la peau d'une étudiante en cours "d'expression corporelle"
Pour Marylise, ce lundi avait été une rude journée (pff, ces profs : trop des vieux réacs coincés du popotin !). Elle se sentait trop mal, grave saoulée. Plus que jamais elle ressentait le besoin urgent de libérer ses chakras encrassés de mauvaises ondes, mais pour ça il lui aurait au moins fallu un massage tantrique bantou, ou bien une séance de chamanisme sibérien, voire carrément un bain de cristaux zen. Par chance, elle se souvint qu’un certain Malik donnait tous les soirs des cours d’expression corporelle dans le bâtiment des Sciences humaines. Elle n’y était encore jamais allée mais aujourd’hui, nom d'un bonze opprimé, il n’y avait pas à hésiter !
Le cours avait déjà commencé, une poignée d’étudiants se mouvait au ralenti au centre de la pièce. Assis derrière un synthétiseur, sa main droite posée à plat sur le clavier de façon à enfoncer 11 touches à la fois, Malik fit signe à l’arrivante de se joindre à eux. De longues nappes de sons éthérés résonnaient dans l’atmosphère. « Attention, maintenant que vous avez franchi la barrière du mental rationnel, vous allez pouvoir établir le contact avec vos plans profonds. » Malik interprétait de façon libre des musiques folkloriques kazakhs, spectaculairement remises au goût du jour par la riche gamme sonore du Yamaha 500. « Je vous demande de vous ouvrir sur l’espace illimité de la création. Vous entrez dans le cosmos mais attention, le flux solaire reste important. » Marylise se sentit portée par cette musique profonde et authentique, paradoxalement propice à l'intériorisation mais aussi au partage. A sa gauche, une fille anorexique se lançait dans une sorte de hula-hoop imaginaire, à sa droite, un semi-bossu vêtu d'un tee-shirt bleu canard s’arc-boutait contre un pilier invisible, devant elle, un autre avec de jolies dreadlocks piétinait lourdement le linoléum en lâchant des « hôm ! » profonds et gutturaux. « Les graves sont sombres et les aigus sont clairs ». Marylise ferma les yeux, son corps semblait réagir de lui-même dans cette atmosphère magique et spirituelle. « Vous êtes légers comme du plomb et lourds comme une plume ».
Quand elle les rouvrit, la première chose qu’elle vit fut sa main. Oh, cette main. « Respectez l’intégrité du schéma corporel ! » Elle la contemplait comme une entité détachée de son être, comme si elle la voyait pour la première fois (« les voix parlent des sons ») posant sur elle un regard vierge, un regard de nouveau-né, un regard (« les mots disent des lettres ») fabuleusement objectif. M… A… I… N…
Qu'est-ce que la main, pourquoi les doigts ? Une foule de questions se bousculait dans la tête de Marylise. « Les oscillations de votre esprit doivent être à l’écoute du sismographe astral. » Cette main était belle, à la fois simple et complexe, elle pouvait faire tant de choses, des choses bien et, euh… des choses mal, et Marylise se rendait compte qu’elle était sur le point de comprendre quelque chose d’hyper important, un truc vraiment essentiel, et Malik commença à chanter, poussant d’abord dans les graves une espèce de plainte longue et monocorde qui enfla peu à peu vers les aigus, « mmmmMMMUUUUUUIIIIIIIII », et à ses pieds la fille anorexique se contorsionnait maintenant comme une ménade, les yeux révulsés, tandis qu’augmentait la fréquence et l’intensité des « hôm ! » qui accompagnaient les piétinement rageurs du dreadeux et soudain ce fut fini, Malik s’arrêta net, plus de synthé kazakh, plus de « hôm ! », plus rien. Le maître de cérémonie promena sur chacune et chacun d’entre eux un regard bienveillant, le front luisant de transpiration, le visage blême de l’effort accompli sur lui-même. C’était fini, le stress du lundi était parti. Son corps libéré des souffrances de la journée, le courant des fluides de son esprit restauré, Marylise se sentait à nouveau prête à affronter le conservatisme pédago-ringard de ses profs, et cette société urbano-capitaliste dégueulasse où les gens sont souvent plein d'horribles préjugés. Peace & Love Cuba Libre Legalize It No Pasaran.
Merci à John Nada pour cette contribution inspirée!
Le cours avait déjà commencé, une poignée d’étudiants se mouvait au ralenti au centre de la pièce. Assis derrière un synthétiseur, sa main droite posée à plat sur le clavier de façon à enfoncer 11 touches à la fois, Malik fit signe à l’arrivante de se joindre à eux. De longues nappes de sons éthérés résonnaient dans l’atmosphère. « Attention, maintenant que vous avez franchi la barrière du mental rationnel, vous allez pouvoir établir le contact avec vos plans profonds. » Malik interprétait de façon libre des musiques folkloriques kazakhs, spectaculairement remises au goût du jour par la riche gamme sonore du Yamaha 500. « Je vous demande de vous ouvrir sur l’espace illimité de la création. Vous entrez dans le cosmos mais attention, le flux solaire reste important. » Marylise se sentit portée par cette musique profonde et authentique, paradoxalement propice à l'intériorisation mais aussi au partage. A sa gauche, une fille anorexique se lançait dans une sorte de hula-hoop imaginaire, à sa droite, un semi-bossu vêtu d'un tee-shirt bleu canard s’arc-boutait contre un pilier invisible, devant elle, un autre avec de jolies dreadlocks piétinait lourdement le linoléum en lâchant des « hôm ! » profonds et gutturaux. « Les graves sont sombres et les aigus sont clairs ». Marylise ferma les yeux, son corps semblait réagir de lui-même dans cette atmosphère magique et spirituelle. « Vous êtes légers comme du plomb et lourds comme une plume ».
Quand elle les rouvrit, la première chose qu’elle vit fut sa main. Oh, cette main. « Respectez l’intégrité du schéma corporel ! » Elle la contemplait comme une entité détachée de son être, comme si elle la voyait pour la première fois (« les voix parlent des sons ») posant sur elle un regard vierge, un regard de nouveau-né, un regard (« les mots disent des lettres ») fabuleusement objectif. M… A… I… N…
Qu'est-ce que la main, pourquoi les doigts ? Une foule de questions se bousculait dans la tête de Marylise. « Les oscillations de votre esprit doivent être à l’écoute du sismographe astral. » Cette main était belle, à la fois simple et complexe, elle pouvait faire tant de choses, des choses bien et, euh… des choses mal, et Marylise se rendait compte qu’elle était sur le point de comprendre quelque chose d’hyper important, un truc vraiment essentiel, et Malik commença à chanter, poussant d’abord dans les graves une espèce de plainte longue et monocorde qui enfla peu à peu vers les aigus, « mmmmMMMUUUUUUIIIIIIIII », et à ses pieds la fille anorexique se contorsionnait maintenant comme une ménade, les yeux révulsés, tandis qu’augmentait la fréquence et l’intensité des « hôm ! » qui accompagnaient les piétinement rageurs du dreadeux et soudain ce fut fini, Malik s’arrêta net, plus de synthé kazakh, plus de « hôm ! », plus rien. Le maître de cérémonie promena sur chacune et chacun d’entre eux un regard bienveillant, le front luisant de transpiration, le visage blême de l’effort accompli sur lui-même. C’était fini, le stress du lundi était parti. Son corps libéré des souffrances de la journée, le courant des fluides de son esprit restauré, Marylise se sentait à nouveau prête à affronter le conservatisme pédago-ringard de ses profs, et cette société urbano-capitaliste dégueulasse où les gens sont souvent plein d'horribles préjugés. Peace & Love Cuba Libre Legalize It No Pasaran.
Merci à John Nada pour cette contribution inspirée!